Prédicateur : Evert Van de Poll
Date : dimanche 12 avril 2020 Références : Matthieu 27 :60 à 66 et Matthieu 28 :1 à 6
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Nous sommes une semaine après Pâques, le jour où Jésus a fait ses premières apparitions en tant que Ressuscité d’entre les morts.
Sur le calendrier de l’Église, le dimanche après Pâques est consacré aux autres apparitions de Jésus à ses disciples, notamment à Thomas, car c’est lui qui va vivre une rencontre extraordinaire avec Jésus, le Seigneur vivant. C’est son témoignage que nous allons méditer ce matin.
Apôtre célèbre – mais pas pour les mêmes raisons
Qui était Thomas ? L’un des douze apôtres que Jésus avait choisis pour devenir les dirigeants fondateurs de son Église.
Quant à Thomas, il est devenu un apôtre célèbre – mais pas pour les mêmes raisons.
Dans les Églises de l’Orient, Thomas est honoré comme celui qui a évangélisé les peuples en Syrie et qui a fondé l’église de l’Inde du Sud. Selon plusieurs traditions, il y est arrivé en 52, et il a subi le martyre dans les années 70, sur la colline qui s’appelle aujourd’hui mont Saint-Thomas. Son tombeau se trouve dans la crypte de la basilique Saint-Thomas de Chennai, dans la province de Kerala.
En revanche, en Occident Thomas a plutôt la réputation de l’apôtre incrédule. Il est devenu la figure emblématique de celui qui doute, qui pose des questions, qui ne veut pas croire sans que l’on lui apporte des preuves.
Alors, qui est-il réellement ? Un héros de la foi ? Un incrédule ? Ou peut-être les deux à la fois ?
Nous allons voir. Et nous allons découvrir un personnage en qui nous pouvons nous reconnaître de plusieurs manières. Son témoignage a beaucoup à nous dire.
Aux abonnés absents
Écoutons ce que disent les Ecritures. Tout ce que nous savons de Thomas se trouve dans l’Évangile de Jean. Les autres évangélistes mentionnent seulement son nom dans la liste des douze apôtres.
Jean raconte quatre épisodes dans lesquels Thomas joue un rôle particulier.
Le plus connu de ces épisodes est celui qui se déroule une semaine après la résurrection de Jésus, quand Thomas a vraiment rencontré le Seigneur ressuscité. Jean 20.24-29
Le récit commence par une remarque lourde de signification.
Or, Thomas, l’un des douze, appelé Didyme, n’était pas avec eux lorsque Jésus vint (24).
Cela fait référence au premier jour de la semaine, que nous appelons dimanche, jour du Seigneur, dans la semaine de Pâques. C’était le troisième jour après la crucifixion.
Ce jour-là, le soir tombée, les apôtres et les autres disciples de Jésus étaient réunis dans une maison. Dans la matinée, quelques femmes parmi eux étaient allés au tombeau, elles avaient vu le Seigneur vivant. Plus tard, Pierre et Jean étaient allés voir le tombeau, pour constater qu’il était vide. Les disciples réunis dans la maison ce soir-là ont sans doute parlé de la promesse de Jésus qu’il allait se réveiller de la mort. Tout d’un coup, lorsqu’ils discutaient, Jésus a fait son apparition au milieu d’eux.
Or, deux des douze apôtres n’étaient pas là. D’abord Judas, bien évidemment. Accablé de honte et de culpabilité pour avoir livré son maître aux soldats romains, il avait mis fin à ces jours.
Et puis, Thomas. Lui aussi était aux abonnés absents.
Pourquoi n’était-il pas présent ? Le texte ne le dit pas explicitement mais nous donne plusieurs indices, permettant de s’en faire une idée.
Décrocher – pour quelles raisons ?
Thomas avait décroché. En cela, il fait penser à toutes les personnes qui appartiennent à une église mais ne vont plus régulièrement au culte, ou à la messe, si vous voulez. Et à ceux qui n’y vont que très rarement. Aujourd’hui, ils sont oh combien nombreux, surtout en Europe. Selon les études, plus de la moitié de la population de tous les pays se disent chrétien ou sont enregistrés comme tel, sans qu’ils ne fréquentent une quelconque réunion d’église. On les appelle les non-pratiquant. Leur nombre est énorme.
C’est à tous ceux qui ont décroché, que Thomas nous fait penser. Lui, le premier décroché dans l’histoire de l’Église.
Quand quelqu’un décroche d’une communauté de croyants, il peut y avoir plusieurs raisons. On peut les résumer en quatre raisons typiques.
- La personne est devenue indifférente à la foi, elle ne s’intéresse plus à la Parole de Dieu, car les soucis quotidiens ont pris le dessus, comme l’a indiqué Jésus dans la parabole du semeur. On dit, ‘je n’ai pas le temps’, mais en réalité on n’a plus envie. Quand on leur pose la question : croyez-vous en Dieu, la réponse est de dire : je ne sais pas, et cela ne m’intéresse pas trop. Ce sont les agnostiques – ce qui veut dire, littéralement, « je ne sais pas ».
- La personne est déçue. L’église où elle allait n’était pas à la hauteur de ses attentes. L’église n’a pas répondu à ses besoins spirituels ou autre, en tout cas, c’est l’impression de la personne qui décroche. Ou bien elle a mal vécu les tensions dans la communauté, elle s’est heurtée aux exigences, au leadership, à la gestion financière, à l’absence d’accompagnement pendant une période difficile. C’est la déception qui fait que l’on décroche. Au lieu de chercher une autre communauté, on préfère rester chez soi et faire autre chose le dimanche matin.
- La tristesse, le chagrin, la souffrance. C’est très humain de se renfermer dans ses souffrances. On ne veut pas importuner les autres avec ses soucis, on ne se sent pas à même de chanter et de louer le Seigneur. On reste chez soi.
- Le doute. On se pose les questions par rapport à la foi. Est-ce que c’est bien vrai ce que les pasteurs et les prêtres nous racontent ? Quand cela dure et que l’on ne trouve pas de réponses satisfaisantes, on finit par décrocher. On ne croit plus à l’Église. On commence à douter que Dieu existe.
Qu’en est-il de Thomas ?
Je pense qu’il y avait un peu de tout cela, sauf la première raison, l’indifférence. Thomas était tout sauf indifférent.
Il était plutôt déçu. Juste avant la crucifixion, Jésus est allé à Béthanie parce que Lazare son ami était très malade et finalement il est décédé. C’était déjà un temps marqué par les hostilités des dirigeants religieux qui étaient à la recherche de Jésus pour le faire mourir par lapidation (Jean 11.8). Pourtant, Jésus a voulu aller à Béthanie. Jean relate que Thomas a dit aux autres disciples : « Allons, nous aussi, avec lui, afin de mourir avec lui » (Jean 11.16). Cela montre que Thomas ne voyait plus comment le mouvement de Jésus pouvait encore réussir, au regard de l’opposition de plus en plus forte. Selon lui, Jésus et ses disciples finiraient par être mis à mort.
Un autre épisode confirme l’impression que Thomas était déçu par la tournure que prenaient les évènements. Pendant le dernier repas avec ses disciples, la veille de la Pâque juive, Jésus a longuement parlé de sa souffrance et sa mort imminentes, mais aussi de sa glorification et de ce que les disciples allaient recevoir son Esprit Saint.
À un moment donné, il dit « Je m’en vais (référence à sa mort) afin de vous préparer une place auprès de Dieu (référence à la vie éternelle). »
Alors Thomas réagit : « Seigneur nous ne savons pas où tu vas, nous ne connaissons pas le chemin » (Jean 14.5). Autrement dit, je ne comprends plus comment continuer à vous suivre, je ne vois aucun chemin. Thomas avait perdu toute perspective. Quand Jésus lui répond : « C’est moi, le chemin, la vérité et la vie », Thomas se tait, tout simplement (Jean 14.5-6).
Il avait cru à ce que le règne de Dieu allait venir par Jésus. Quelle déception de le voir crucifié comme un criminel.
En plus, Thomas aura été accablé de tristesse, après la mort de son Maître qu’il avait tant aimé. C’était une souffrance.
Et puis, Thomas a décroché puisqu’il se posait des questions. Est-ce que c’est bien vrai, tout cela ?
C’est grâce à cette incrédulité, à cet esprit scientifique pourrait-on dire, qui ne croit que ce qu’il a vérifié, qu’il arrive à une compréhension plus profonde du Christ, et qu’il va connaître l’assurance de la foi.
Mais n’allons pas trop vite dans cette histoire.
Sortir de l’isolement
Thomas a décidé de rester chez lui, tout seul, avec sa déception, sa tristesse et ses questions. Mais tout seul, on ne s’en sort pas. On tourne en rond dans ses propres raisonnements. Il faut sortir de l’isolement pour avancer et trouver des solutions. Et pour sortir, il faut d’abord ouvrir son cœur à entendre autre chose, à vouloir découvrir quelque chose que l’on ne voit pas.
Aujourd’hui, nous vivons un confinement imposé par le gouvernement, et nous nous rendons compte combien il est important de pouvoir rencontrer d’autres personnes. Tout seul, on dépérit.
C’est ce que les autres disciples ont bien compris. Leur compagnon de route leur manquait. Donc ils vont le chercher. Quel beau geste ! C’est comme ça que Thomas s’en est sorti. Grâce à ses frères et sœurs qui ont fait preuve d’amour fraternel.
Quand les autres disciples le trouvent dans son cachet, ils disaient donc : « Nous avons vu le Seigneur ». Il est vivant (11.25).
L’histoire de Thomas nous montre que nous ne devons pas rester seuls avec nos déceptions, nos doutes, nos souffrances, mais chercher la communion fraternelle, où le Seigneur nous vient en aide, souvent au travers de nos frères et sœurs.
Questions, je veux une preuve
Tout va bien qui finit bien ? Pas vraiment, car Thomas n’est pas convaincu par ce que racontent le autres. Il leur dit : « Si je ne vois en ses mains la marque des clous, et si je ne mets mon doigt dans la marque des clous, et si je ne mets ma main dans son côté, je ne croirai point » (11.25).
Comment interpréter cela ? Thomas avait des doutes quant à la résurrection de Jésus. Est-ce que cela relève de l’incrédulité ? Oui, et non.
Car il existe deux types de doute que nous pouvons avoir. D’abord le doute qui ne cherche pas à savoir davantage. Un doute qui nous arrange, car ainsi pouvons-nous éviter des questions difficiles et dérangeantes, par rapport à l’existence de Dieu, par rapport au sens de la vie, à l’au-delà de la mort, etc. C’est le doute de l’indifférence. On veut rester tranquille. « Je ne sais pas. » Autrement dit, je ne veux pas savoir.
En revanche, il y a aussi un doute positif, une mise en question qui met un point d’interrogation derrière ce que disent les gens. C’est ce que l’on appelle le doute méthodique ou scientifique, une manière d’avancer dans la connaissance et la compréhension des choses. C’est le doute de quelqu’un qui veut savoir, qui n’est pas satisfait des réponses données et des idées reçues. Par exemple, les Grecs dans l’Antiquité affirmaient que le soleil tourne autour de la terre. Pendant longtemps les chrétiens en Europe y croyaient, mais au 16e et 17e siècle, Copernicus et Galilei mettaient cette hypothèse en doute, car elle n’était pas confirmée par leurs observations. Est-ce que c’est sûr ? En commençant par le doute, ils ont finalement trouvé que c’est plutôt la terre qui tourne autour du soleil. Un tel doute positif et nécessaire pour avancer.
Il s’est senti compris
Thomas avait un doute positif. Il voulait savoir. Donc, il demande des preuves tangibles, visibles. Il n’est pas fermé. Il est ouvert à découvrir ce qu’il ne voit pas pour l’instant.
C’est pourquoi il a rejoint les disciples qui l’avaient encouragé à venir, le dimanche suivant. Et surprise, quand ils se sont réunis dans la maison de leurs rencontres, Jésus vient à nouveau et Il s’adresse en premier lieu à Thomas. Cela montre qu’il s’intéresse à lui. Puis il lui propose : « Avance ici ton doigt, regarde mes mains, avance aussi ta main et mets la dans mon côté et ne sois pas incrédule, mais crois ! » (Jean 20.27).
C’est à peine croyable. Le Seigneur reprend mot à mot la question que Thomas s’est posée. Comment le savait-il ? Thomas se l’est certainement demandé. Et son cœur a commencé à changer.
Ceci est très important.
Quand quelqu’un a de sérieux doutes par rapport à la foi, il faut prendre ses questions au sérieux. C’est ce que nous oublions souvent. Dans notre zèle d’aider quelqu’un ou d’évangéliser, on ne se donne pas la peine de bien comprendre la question de l’autre.
En reprenant mot à mot la preuve que Thomas a demandée, Jésus montre qu’il a pris Thomas au sérieux. Et Thomas, lui, se sentait compris.
Jésus l’invite à expérimenter des preuves qu’il cherchait. Mettre ses mains dans les plaies. Le texte ne dit pas que Thomas l’a fait. Cela laisse à penser qu’il n’a pas avancé ses mains vers les plaies de Jésus. Il n’en avait plus besoin. Les paroles de Jésus l’avaient rassuré et tout de suite convaincu, parce qu’il se sentait compris. Par sa parole, Jésus a rétabli la relation. Aucun reproche, seulement une invitation : « crois », ce qui veut dire : laisse-toi convaincre, ouvre-toi à la vérité que tu vois devant toi, laisse surgir la foi dans ton cœur.
La confession de Thomas, sa foi approfondie
Mais le changement de Thomas ne s’arrête pas là. Thomas a demandé une preuve de la résurrection, mais ce qu’il reçoit va beaucoup plus loin que de vérifier que Jésus est vivant. Par son questionnement honnête, et par la réponse de Jésus qui l’a pris au sérieux, il va « voir » ce que l’œil physique ne peut voir. Il va concevoir ce que le raisonnement humain n’aurait jamais imaginé. Ce Jésus est le Seigneur, il est la révélation de Dieu. Et il se met à genoux devant Jésus pour lui apporter l’adoration dont seul le Dieu de l’univers est digne : « Mon Seigneur, mon Dieu » (20.28).
Celui qui avait des questions, qui était incrédule au départ, va être le premier à confesser la divinité du Christ. Il a vu plus que la preuve qu’il n’avait demandée, sa foi en Christ est vraiment approfondie.
A-t-il tout compris de ce qu’il exprimait ? Peut-être pas tout. Rappelons-nous d’ailleurs que les théologiens de l’Église ont lutté pendant des siècles avec cette question comment Jésus pouvait être homme et Dieu à la fois. Comment comprendre ce mystère ? Ils sont finalement arrivés à la formule de la confession de foi de Chalcédoine, adoptée en 451 AD : « nous confessons un seul et même Fils de Dieu, notre Seigneur Jésus-Christ, le même parfait en divinité, et le même parfait en humanité, le même vraiment Dieu et vraiment homme (composé) d’une âme raisonnable et d’un corps ».
Notre foi approfondie
Enfin, Jésus dit à Thomas : « Parce que tu m’as vu, tu es convaincu ? Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! » (20.29). Là, il s’adresse aux futures générations de croyants, à nous aussi. Il est tout à fait possible d’avoir la même foi, sans avoir vu Jésus le Ressuscité de ses yeux physiques, sans l’avoir entendu de ses oreilles physiques, comme l’ont fait les témoins oculaires qui ont écrit le Nouveau Testament. Leur témoignage est sûr et certain : Jésus est bien ressuscité. C’est un fait historique.
Sa parole et le témoignage de ses actes seront transmis aux peuples lointains – Thomas, lui est allé jusqu’en Inde ! Et aux futures générations. A ceux qui n’ont pas vu. Cette parole et ce témoignage suffisent pour ouvrir les yeux de leur cœur, et de notre cœur, à Jésus, qui est le chemin, la vérité et la vie. A condition que nous ayons le cœur ouvert comme Thomas !
L’auteur de l’épître aux Hébreux affirme : « La foi, c’est l’assurance des choses qu’on espère, la démonstration de celle qu’on ne voit pas » (11.1).
Notre foi repose sur la parole annoncée, comme le confirme l’apôtre Paul : « Ainsi, la foi vient de ce qu’on entend, et ce qu’on entend vient de la parole de Christ » (Romains 10.17).
La foi est la capacité, donnée aux humains, de « voir » au-delà de ce qui est visible et tangible. La foi devient une certitude, que l’on ne veut plus mettre en doute.
Nous avons la parole de Dieu. Nous avons les paroles de Jésus qui ont transformé Thomas. Sa parole peut aussi changer nos regards et notre entendement quand nous avons des questions et des doutes.
Et nous avons la promesse que le Seigneur ressuscité est présent parmi nous par son Saint-Esprit. Cet Esprit est répandu dans notre cœur, de sorte que la présence de Jésus devient une réalité vécue, aujourd’hui comme à l’époque de Thomas.
Jésus est le même hier, aujourd’hui et pour l’éternité (Hébreux 8.3). Celui qui a compris Thomas, qui s’est intéressé à lui, qui l’a rassuré et enlevé ses doutes, il est le bon berger qui s’intéresse à vous aussi, à moi aussi. Il comprend mes questions, mes difficultés, mes doutes. Il me connaît mieux que je me connais moi-même ! Au cri de mon cœur, « je veux croire mais je n’arrive pas », il répond par sa parole rassurante et révélatrice. Celui qui a transformé Thomas est bien capable de transformer les doutes qui sont les nôtres, en une foi approfondie.